Oubliée
Il bruinait. Comme toujours à cette heure matinale. Elle sortit en hâte et se dirigea, rasant les murs, vers la place de la cathédrale. Il n’y avait personne. L’aube gagnait peu à peu l’air mouillé par l’humidité omniprésente. On n’entendait que sa respiration accélérée par les pas pressés et justement ses talons qui frappaient avec un son sourd, et dans un rythme irrégulier le sol glissant.
La place s’ouvrit devant elle et lui souffla dans le visage le vide illuminé qui l’aveugla pour un instant. Elle ferma les yeux, inspira profondément avant de les rouvrir. Elle parcourut par un coup d’œil rapide la place. Il n’était pas encore là.
Le temps passait lentement. Elle attendait, les vêtements si précipitamment mis sur son corps encore tiède de sommeil commençaient à coller sous l’effet de la brume, de la transpiration due à sa hâte et aussi à son anxiété. Pourquoi n’est-il pas encore là ? Quelle est la raison qui le fait tant tarder ? Plus tard il viendra, mois de temps ils auront. Pour eux. Pour...
Mais pour quoi, alors ? Pour qu’il se précipite sur elle, et fouine dans ses vêtements pour s’emparer de son corps au moins un peu. Pour qu’il puisse toucher sa peau maladivement blanche et molle comme celle de jeunes modèles rubéniens. Pour qu’il prenne dans ses mains ses hanches majestueusement formées dans ce large arc enrobé d’une chair ressemblant fort aux poignées d’une amphore bien ronde. Pour qu’il chauffe ses mains sur son ventre arrondi et en sueur, en-dessous de ses seins difformes, faisant penser à deux carapaces de tortue : gris, pesants, froids.
Pour qu’il fasse tout cela rapidement avant que l’aube et sa brume ne se lèvent et ne dévoilent toute cette splendeur de la pierre, cette architecture grandiose, divine ou au moins dressée pour lui, Dieu. Cette preuve de la beauté et du grand amour datant du 13e siècle. Rayonnante, flamboyant grâce classique et ancienne. Pas une seule ride, sa haute taille bien droite et son allure franche et calme, plutôt réconfortante, généreuse.
Il ne vint pas.
Elle jette un regard furtif, jaloux à cette voûte savamment façonnée, que tant de mains avaient touché avec amour, avec empressement, avec passion et surtout avec admiration. Elle rebrousse son chemin, le balancement irrégulier de ses cheveux mal coiffés couronne son pas ralentit par la fatigue des déçus.
Elle ne se retourna pas. Avança la tête baissée, l’air pensif.
"White Rose" - original miniature acrylic painting of a rose
Il y a 3 jours
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